Sur les réseaux sociaux, une vidéo est devenue virale depuis quelques semaines. Dans la séquence, on voit un journaliste et un invité devant la Tour de l’échangeur, imposant monument devenu symbole de la ville de Kinshasa. Durant une vingtaine de secondes, l’homme qui est présenté comme historien explique en lingala, une des quatre langues nationales de la RDC, que cette tour de Kinshasa a inspiré la Tour Eiffel.
« Je vous que si la Tour Eiffel existe, c’est parce qu’à l’époque le président français a visité le Zaïre et en voyant cette tour de l’échangeur érigé par Mobutu, cela lui a inspiré d’aller construire la Tour Eiffel chez eux », explique-t-il, ajoutant que la Tour de l’échangeur a donné les goûts aux autres pays du monde bâtir de longs monuments.
Pourtant, l’examen des faits historiques et des archives officielles montre qu’il s’agit d’une confusion totale. La Tour Eiffel est antérieure de près d’un siècle à la Tour de l’Échangeur. En effet, la Tour Eiffel est née à la fin du XIXᵉ siècle, dans un contexte d’innovation industrielle et d’exaltation du progrès.
Conçue par Gustave Eiffel, ingénieur et entrepreneur français, elle fut construite pour l’Exposition universelle de 1889, organisée à Paris à l’occasion du centenaire de la Révolution française. D’après les archives de l’Exposition et les dossiers du Comité des travaux de la Ville de Paris, les travaux ont débuté le 28 janvier 1887 et se sont achevés le 15 mars 1889. L’édifice a ensuite été inauguré le 31 mars 1889 avant d’ouvrir au public le 6 mai de la même année.
À l’opposé, la Tour de l’Échangeur de Limete, souvent appelée Tour de l’Échangeur de Kinshasa, relève d’un tout autre contexte historique. Ce monument emblématique de la République démocratique Congo a été conçu sous le régime du président Mobutu Sese Seko, dans le cadre du programme de « modernisation et zaïrianisation » des années 1970. Selon plusieurs sources congolaises, dont Radio Okapi et les archives du ministère des Travaux publics que Congo Check a consultées, les premiers plans datent de la fin des années 1960, tandis que la construction s’est étendue de 1970 à 1983.
La Tour de l’Échangeur devait symboliser l’unité nationale. Pour l’illustrer, quatre anneaux sont placées au sommet de la Tour, symbolisant les quatre espaces linguistiques du pays. Haute d’environ 210 mètres – contre 300 pour la Tour Eiffel -, elle est érigée au croisement du boulevard Lumumba et de l’avenue By-Pass. Son style moderniste, aux lignes droites et aux volumes massifs, contraste d’ailleurs fortement avec l’architecture métallique ajourée et industrielle de la Tour Eiffel. Œuvre d’un architecte tunisien, les travaux de cette tour ont été exécutés par des entreprises locales et des ingénieurs étrangers et ont connu plusieurs interruptions faute de financement, et le monument n’a jamais atteint la notoriété mondiale de son homonyme parisienne.
D’un point de vue chronologique, la comparaison ne tient donc pas : la Tour Eiffel a été achevée en 1889, alors que Mobutu est né en 1930 et que la Tour de l’Échangeur n’a vu le jour qu’entre 1970 et 1983. Il existe donc un écart d’environ 94 ans entre les deux constructions. Aucune source historique, ni française ni congolaise, ne mentionne un quelconque lien entre ces monuments.
Si la Tour Eiffel s’inscrit dans la tradition des grands projets de l’ingénierie métallique du XIXᵉ siècle, aux côtés du viaduc de Garabit ou du pont Maria Pia à Porto, la Tour de l’Échangeur, quant à elle, s’ancre dans la symbolique politique du Zaïre des années 1970, période où le régime cherchait à affirmer une identité nationale à travers des œuvres monumentales.
Cette désinformation rappelle l’importance de vérifier et croiser ses sources, même en face d’une information provenant d’un argument d’autorité. Dans un contexte où les plateformes numériques amplifient les messages sans toujours les filtrer, les internautes sont appelés à adopter une posture critique face à l’information. Les théories infondées sur des sujets apparemment anodins, comme l’origine d’un monument, peuvent conduire la réécriture de l’histoire par les réseaux sociaux, altérant ainsi la mémoire collective avec des récits détachés de tout fondement historique.


