En République démocratique du Congo, au Congo Brazzaville, en République Centrafricaine ou au Cameroun, des contenus détournés inondent la toile via les chaînes YouTube ou les réseaux sociaux. Produits et diffusés par les membres de la diaspora de ces pays, basés essentiellement en Europe, ces contenus présentent l’Europe comme un eldorado encourageant l’immigration clandestine et interfèrent dans les questions politiques sous un ton extrême, créant une polarisation dans les pays qu’ils ont quitté. L’essentiel de ces contenus ne reposant sur aucune base factuelle comme le démontrent les investigations de Congo Check sont suivis par des millions d’internautes, qui à leur tour distillent ce message dans la communauté locale. En Europe comme en Afrique, des personnalités publiques tant politiques, militantes ou culturelles ont fait l’objet des menaces voire d’attaques physiques à la suite des appels lancés par ces YouTubeurs sur base d’accusations sans fondement factuels. Des musiciens d’origine congolaise ont vu leurs concerts annulés par les autorités françaises suite aux menaces d’un groupe hostile à la production scénique d’artistes congolais, qui a son encrage dans la désinformation diasporisée. Le concert de l’artiste musicien Fally Ipupa à l’Accor Arena (ex Bercy) en février 2020, bravant ces menaces s’était soldé par des heurts, des incendies contre les infrastructures d’intérêt public dans la ville de Paris.

Tout brader pour l’eldorado

Dans la ville de Kinshasa (la plus importante ville francophone d’Afrique centrale) et dans plusieurs régions du bassin du Congo, arriver en Europe, peu importe la voie utilisée est la marque d’une vie réussie. Les procédures migratoires étant longues et rigoureuses, plusieurs ressortissants d’Afrique, fuyant les conditions de vies médiocres créées par la guerre et la mauvaise gouvernance qui caractérisent ces pays depuis plusieurs décennies préfèrent emprunter la voie illégale afin de parvenir à leur fin. Attirés par les appels à immigrer en Europe, où la vie est aisée, diffusée en longueur des mois sur les chaînes YouTube et sur les réseaux sociaux par les membres de leurs diasporas respectives, ces citoyens des pays d’Afrique centrale vendent tout ce qu’ils possèdent afin de se lancer dans l’aventure. Malgré les récents efforts des autorités européennes à prévenir contre les dangers encourus par les immigrés clandestins et les révélations sur les calvaires traversés par ces derniers, notamment dans le désert libyen, les nouvelles recrues ne désespèrent pas atteindre le paradis. 

“Ni les conditions météorologiques moins encore les vidéos atroces n’ébranleront nos efforts à quitter cet enfer et aller nous abriter partout ailleurs” écrit un internaute en réaction à une photo qui présente les personnes sans abris en Europe.

Cette pratique, appelée phénomène Ngulu ou Ngunda) a été aussi propulsée par les artistes musiciens, qui pour des productions scéniques dans l’espace Schengen recrutaient des personnes étrangères à leurs ensembles musicaux afin de les insérer sur les listes de voyageurs. Une fois en Europe, ces personnes utilisaient leurs titres de séjour pour s’établir dans les pays de l’Union Européenne et à l’expiration de leurs visas, elles ne rentraient plus en Afrique. 

L’icône de la Rumba Congolaise, Papa Wemba avait d’ailleurs été condamné en France pour son implication dans le phénomène Ngulu.

Heurts, personnalités blessées et concerts annulés

En République Démocratique du Congo, les biais de la désinformation diasporisée peuvent se résumer par plusieurs phénomènes dont “Les combattants”, “l’assimilation des originaires de l’Est de la RDC aux rwandais”…

Le phénomène “Combattants” est un mouvement social né dans la diaspora congolaise et très active en Europe et en Amérique. 

“Traitant de la réaction d’une diaspora devant l’absurdité de la guerre, de crises multiformes ainsi que de l’insécurité protéiforme dans une mère patrie taxée de scandale géologique à cause d’un sous-sol immensément riche, d’un écosystème diversifié et doté d’une exceptionnelle biodiversité, mais dont la population croupit dans l’indigence. Cette situation misérabiliste et paradoxale s’est traduite par une exaspération croissante qui a pris tout son sens dans la mobilisation des masses au sein de la diaspora qui intervient constamment, avec le fait des transferts d’argent. Depuis dix ans, la mobilisation des Combattants au sein de la communauté congolaise à l’étranger a marqué son empreinte dans les cinq continents” souligne Michel Kingolo Luzingu dans sa thèse intitulée “Socio-anthropologie du phénomène des combattants dans la diaspora congolaise (RDC). Ingeta, Ainsi soit-il” soutenue à la Haute École des Sciennces Sociales en France.

Cette mobilisation contestataire s’est vite retournée en s’attaquant aux cibles fragiles non impliquées dans la gestion publique. Pour preuve, plusieurs concerts des artistes musiciens congolais ont été annulés, perturbés voire interdits par les autorités européennes suite aux menaces des combattants contre ces événements. Ces boycotts ont été prêché par cette communauté de la diaspora, qui reprochait à certains musiciens de louer des politiques dans leurs chansons par des dédicaces (phénomène Mabanga), d’avoir participé à la composition ou l’interprétation des chansons de campagne électorale ou tout simplement par leur silence à ne pas rejoindre la contestation menée par ce groupe de Combattants.

Ministres, députés, joueurs de football et plusieurs personnalités publiques, des fanatiques d’artistes musiciens ou des proches de cette catégorie de dignitaires ont été pris en partie par les membres des groupes Combattants à Paris, Londres, Ottawa. Des rencontres perturbés et plusieurs autres conséquences. Toutes ces mobilisations sont précédées par des appels extremistes au lynchage des personnalités impliquées dans la gestion publique ou leurs proches. Ces appels sont largement diffusés sur les réseaux sociaux. 

Le second phénomène est celui souvent visible dans la diaspora congolaise ou dans la ville de Kinshasa, capitale de la RDC. Il assimile toute personne ne parlant pas Lingala (langue vernaculaire de populations kinoises), plus essentiellement ceux venus des provinces orientales du Congo comme étant des “étrangers, rwandais” et par ricochet des traites en référence à l’agression du Congo-Kinshasa par ses pays voisins. 

Un des exemples typiques de ce biais est le mythe rwandais collé à l’ex président congolais Joseph Kabila par ses opposants. “Kanambe” était le nom par lequel ce dernier était désigné et ces détracteurs disaient de lui qu’il n’était pas fils de Laurent Desiré Kabila, son père qu’il avait succédé après son assassinat le 16 janvier 2001.

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Fiston MAHAMBA
K. MAHAMBA WA BIONDI, connu sous le nom de plume "Fiston Mahamba Larousse" est diplômé en sciences de l'environnement et développement durable à l'Institut Supérieur de Développement Rural à Beni. Journaliste basé dans la partie Orientale de la République Démocratique depuis 2012, il s'est forgé dans l'exercice de ce métier après plusieurs formations de journalisme au Deutsche Welle Akademie, le centre de développement médias de la radiodiffusion publique Allemande. En 2018, il s'inscrit à l'École Supérieure de Journalisme de Lille pour parfaire une licence en journalisme multimédia. Ancien officier de communication au sein des Nations Unies, il poursuit un Master2 en Techniques des Métiers de l'Information à l'Université Nazi Boni (Burkina Faso) /Université Lumière Lyon (France). Son livre "Ebola: Fixers, ces boucliers non immunisés" est en cours d'édition. Journaliste et chercheur spécialisé sur la région orientale de la République Démocratique du Congo et les Grands-Lacs africains, ses études se focalisent sur les ressources naturelles, la santé, les conflits... Ses domaines de travail journalistique sont orientés vers l'environnement, le développement, l'emploi, les nouvelles technologies, l'agriculture, la politique, la culture,... qu'il couvre en écriture et images.

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