Après l’arrestation, le 29 décembre 2020 à Paris (France) de l’ancien chef de guerre Congolais Roger Lumbala, pour sa participation présumée dans la commission des crimes contre l’humanité en République démocratique du Congo (RDC), une liste a surgi dans les réseaux sociaux, présentant environs 400 noms comme ceux des présumés auteurs des crimes décrits dans le Rapport Mapping. Attention, il s’agit d’une liste difficile à authentifier, mais «qui ne vient pas des Nations Unies».
Mardi 29 décembre 2020, l’Office centrale de lutte contre les crimes contre l’humanité (OCLCH) de France a arrêté Roger Lumbala, ancien seigneur de guerre congolais soupçonné par les Nations unies de crimes contre l’humanité. D’après le journal français Le monde, cet acteur politique congolais, âgé de 62 ans, a été arrêté en pleine rue à Paris, avant d’être mis en examen, samedi 2 janvier 2021, pour «participation à un groupement formé en vue de la préparation de crimes contre l’humanité » et « complicité de crimes contre l’humanité ». Concrètement, la justice française reproche à Roger Lumbala d’avoir commis de «de massacres de civils, mais aussi de viols, de torture, de cannibalisme et de pillages», entre 2000 et 2003 dans les provinces de l’Ituri et du Haut-Uélé, dans le nord-est de la RDC, alors qu’il commandait le Rassemblement congolais pour la démocratie-National (RCD-N), un mouvement rebelle soutenu par l’Ouganda voisin.
Une première procédure dans l’affaire Mapping
Dans un communiqué publié, lundi 4 janvier 2021, le Parquet national antiterroriste (PNAT) de France précise qu’il s’agit d’une «première mise en examen prononcée dans le cadre d’une procédure judiciaire ouverte sur la base du rapport Mapping». Publié en octobre 2010, il y a dix ans, le rapport Mapping documente, sur 550 pages, 617 incidents, notamment des «violations les plus graves des Droits de l’homme et du Droit International humanitaire» enregistrées «entre Mars 1993 et Juin 2003 sur le territoire de la République Démocratique du Congo», notamment dans des zones contrôlées par les forces congolaises, des armées étrangères et des rébellions.
Un contexte qui déterre une fausse liste de criminels
C’est donc dans ce contexte de la mise en examen de Roger Lumbala qu’une liste de 338 noms a fait le tour des réseaux sociaux, les présentant comme les «400 présumés génocidaires et criminels de guerre cités dans le rapport Mapping de l’ONU du 1er Octobre 2010».
La liste a été reprise sur des sites d’informations, comme 24HCONGO.NET, ainsi que sur Facebook par des internautes, à l’instar de Priince Christophe Tshiabu, se réclamant proche de Fatshi (Felix Tshisekedi, le président Congolais) et de l’UDPS (Union pour la démocratie et le procès social, le parti présidentiel).
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Des publications qui ont suscité des commentaires, notamment celui d’Alexis Mwanza sur la page de Priince Christophe Tshiabu, qui appelle les autorités à mettre «en application l’état de droit».
Une recherche par mots clés menée par Congo Check nous révèle que ce n’est pas pour la première fois que la liste est publiée. En octobre 2020, Freddy Mulongo, journaliste congolais vivant à Paris l’avait déjà partagée sur son blog hébergé sur le site web de Mediapart, en marge de la célébration du dixième anniversaire de la publication du rapport Mapping. Son article qui parle de «400 criminels cités dans le rapport Mapping de l’ONU» reprend aussi 338 noms.
Une observation de Congo Check : ces noms aux quels Freddy Mulongo associent des charges sont essentiellement ceux des responsables politiques et militaires congolais, des armées étrangères et des rebellions, dont les groupes sont cités dans la commission des faits documentés dans le rapport Mapping.
Congo Check a contacté Freddy Mulongo via e-mail et son compte twitter pour savoir l’origine de cette liste ou la méthodologie de sa production. L’homme qui se présente comme journaliste, défenseur de la liberté d’expression n’a pas revendiqué en être auteur et s’est réservé d’en préciser l’origine.
«Je n’ai pas une imagination foisonnante pour établir des noms sur des personnes que je ne connais ni d’Adam ni d’Eve. Le rapport Mapping dans sa première version avait une liste des noms. Il a été expulsé de la liste de noms suite aux pressions, notamment des Etats-Unis et du Rwanda, avant de moisir que ce rapport dans un tiroir de l’ONU. (…) En publiant cette liste, je ne savais pas que cela coïnciderait avec l’arrestation de Roger Lumbala qui figure sur la liste. Moi j’ai fait mon boulot, c’est tout. Ceux qui pensent que la liste est un Fake, c’est aussi leur droit. Je ne me vois pas commencer à expliquer comment je fais pour obtenir la liste ? Par qui ? Comment ?», a réagi Freddy Mulongo.
La liste n’émane pas des Nations unies
Après une vérification faite par Congo Check, il s’avère que la liste est fausse et n’émane pas des Nations Unies.
D’abord, en lisant le rapport Mapping, nous avons découvert que le document ne reprend aucune liste des auteurs présumés des crimes qu’il décrit sur ses 550 pages.
Ensuite, contacté par Congo Check, M. Abdoul Aziz Thioye, Directeur du Bureau conjoint des Nations Unies aux Droits de l’Homme en RDC (BCNUDH) a indiqué ignoré l’origine de cette liste. D’après lui, le Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, également auteur du rapport Mapping, «ne rend pas publique sa base de données».
«Je ne connais pas l’origine de cette liste, qui ne vient pas des Nations Unies. Nous n’avons pas de liste. Le haut-commissariat ne rend pas publique sa base de données, les informations qui y sont peuvent être mises à la disposition de la justice nationale ou internationale, à chaque fois qu’une procédure judiciaire est ouverte. C’est le cas pour tous les grands procès ouverts par la justice congolaise contre des chefs de guerre, ou quelque fois la CPI (Cour pénale internationale)», a précisé à Congo Check M. Abdoul Aziz Thioye.
Dans un article datant de juillet 2016, JUSTICEINFO.NET, un média de la Fondation Hirondelle spécialisé dans la couverture des questions de justice transitionnelle, révèle que la liste des auteurs présumés des crimes commis entre 1993 et 2003 en RDC fait partie des données gardées secrètes par l’ONU. Le média cite Zeid Ra’ad al Hussein, alors chef du Haut-commissariat de l’ONU aux droits de l’homme, qui évoque entre autres raisons, «la protection et la sécurité des témoins et victimes», mais aussi la nécessité de «prévenir toute entrave à l’administration de la justice».