Depuis le 7 octobre dernier, une vidéo publiée sur le compte Facebook Afrimax présente une femme, qui témoigne vivre sous un même toit avec deux hommes qui sont ses époux. Filmée au Sud-Kivu, dans l’Est de la République Démocratique du Congo, la vidéo est authentique mais les faits y relatés sont les résultats d’une fiction dont les témoignages passés pour réels ont été monnayés constate Congo Check, qui s’est entretenu avec les acteurs, la notabilité locale et les proches de personnages filmés.
“Une femme qui s’est mariée avec deux maris a choqué tout le monde” note la description de la vidéo originale publiée par le compte Afrimax Français suivi par plus de 91 milles personnes sur Facebook. La vidéo a récolté plusieurs centaines de milliers d’impression dont près de 38 milles likes, 10 milles commentaires et plus de 21 milles partages sur la page principale l’ayant diffusée. Sans compter l’engagement obtenu sur sur les autres plateformes en ligne, Congo Check a recensé plus de 2,1 millions de vues sur cette vidéo en une semaine de diffusion sur le compte Afrimax Français.
Une fiction monnayée tournée au village de Tshituzo, dans le groupement de Mudaka, dans le territoire de Kabare au Sud-Kivu
Alerté par les internautes, Congo Check qui a jadis débusqué de la désinformation distillée par les plateformes d’Afrimax a travaillé durant plusieurs jours afin d’identifier les éléments distinctifs (accent linguistique, relief, dénominations…) contenus dans la vidéo. À l’aide de son réseau, l’équipe de Congo Check a identifié le lieu du tournage puis les acteurs. Avant de se rendre sur terrain, Congo Check a contacté Afrimax en RDC et au Rwanda, qui a indiqué que ses récits sont basés sur des faits réels irréprochables.
Arrivée sur terrain, l’équipe de Congo Check a été accueillie par Biringane Chisuki Pierre, notable de la région. Ce dernier a décrit à Congo Check les circonstances dans lesquelles la vidéo a été tournée avant de lui présenter la femme, actrice principale du film, qui a aussi donné son témoignage.
3000 dollars américains promis à l’actrice principale pour son témoignage
Appuyé par l’actrice principale de la vidéo, Biringane Chisuki Pierre témoigne que l’équipe d’Afrimax avait donné un récit scénarisé à la femme au cœur de la vidéo. “Il lui avait demandé de répéter ce récit et d’affirmer que les autres acteurs sur la vidéo sont ses époux et qu’ils vivent tous sous le même toit. En contrepartie, une somme de 3000 dollars américains avait été promise, mais qui n’a jamais été envoyée”.
Biringane Chisuki Pierre déplore le risque auquel cette femme a été exposée lorsque la vidéo est devenue virale sur les réseaux sociaux. “Outre l’exposition à une vindicte publique pour un manquement grave aux us et coutumes de la région, la femme a actuellement peu de chance de trouver un conjoint” prévient-il.
Gisèle Mushobe-l’actrice principale déclare avoir été abusée par les auteurs de la vidéo
“Ils sont arrivés et m’ont convaincu de donner le témoignage qu’il m’ont dicté. En voyant la promesse de recevoir 3000 dollars, je n’ai pas hésité à participer au tournage de la vidéo. Je n’ai pas deux époux et le témoignage que vous voyez dans la vidéo n’est pas réel. Ils m’ont promis la construction de ma maisonnette, mais ils n’ont rien réalisé. Je demande aux autorités de m’aider à recouvrer mon droit” témoigne-t-elle avec son deuxième bébé porté sur la poitrine.
Albert, l’autre acteur visible dans la visible sur la vidéo revient sur les mêmes déclarations de Gisèle.
” Je suis âgé de 22 ans, et c’était un film. Ils nous ont promis l’argent mais ils nous ont rien donné. Je suis célibataire et sans enfants” renchérit-il, refusa de se faire filmer par nos équipes.
Un tournage fait sous couvert d’un visage cinématographique et humanitaire
Passy Mushobe (grande sœur de Gisèle), Biringane Chisuki Pierre, Albert et Gisèle Mushobe témoignent que les auteurs de la vidéo sont arrivés dans leur village accompagnés par des autochtones, qui leur avaient expliqué que la vidéo à réaliser se plaçait dans le cadre du cinéma. Ils ont réunis les acteurs et ont expliqué à chacun son rôle. “La maison dans laquelle la vidéo a été filmée est le toit familial de parents de Gisèle. Les deux garçons, présentés comme ses époux sont encore célibataires. D’ailleurs, les habits que les deux sommes se sont échangés durant le tournage appartiennent à Jonas [petit frère à Gisèle] qui étaient au cours le jour du filmage” témoignent nos sources. Toutes les personnes contactées indiquent que la vidéo a été filmée publiquement et a attiré l’engouement dans le village, peu habitué à voir les équipes cinématographiques dans la région. Tous restent unanimes quant au caractère de la vidéo: “Ils avaient demandé aux acteurs de raconter l’histoire diffusée, qui n’est pas une réalité. Comme il y avait une assistance humanitaire qui devrait suivre la participation de ces membres du village au tournage, personne n’a hésité à bien mener son rôle”.
Une plainte en cours de préparation contre Afrimax pour atteinte à la dignité de la coutume Shi
Parlant au nom de la notabilité locale, Biringane Chisuki Pierre a indiqué que c’est la diffusion de la vidéo sur les réseaux sociaux qui a causé l’émoi au sein de la communauté locale. “Un tel événement est contraire aux us et coutumes Shi et je ne m’imagine pas le sort d’une entité auteure de pareil acte” s’indigne-t-il. “Parce que la diffusion de cette vidéo montée et détournée par ses auteurs a porté atteinte aux filles et fils du territoire de Kabare, nous notables de la région avions décidé d’initier une plainte contre les auteurs de ce sacrilège” annonce Biringane Chisuki Pierre.
Une manipulation de contenus nuisible et exposant les vies humaines
La dérive face aux règles établies par la culture et les traditions est sévèrement répréhensible dans les sociétés conservatrices rurales de la République Démocratique du Congo. Outre les conséquences comme une vindicte populaire sur les personnes accusées de ces manquements soulignés par les sources citées ci-haut, le rejet par les proches et une exclusion par la communauté peuvent être appliqués sur les personnes accusées. Aussi, la dignité et la réputation de personnes accusées de porter atteinte aux lois coutumières et de surcroît les femmes [doublement marginalisées par la culture locale] sont terriblement entachées par la désinformation.
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